Les femmes scientifiques

Par Josette Rome-Chastanet

Les femmes scientifiques sont dans un paradoxe persistant  quasiment dans tous les pays : étudiantes  majoritaires dans les études supérieures, mais minoritaires dans les disciplines scientifiques et techniques notamment celles considérées comme nobles – mathématiques, physique, ….

Bien qu’il existe des signes encourageants, les femmes sont toujours sous-représentées dans les sciences et la technologie, que ce soit en recherche fondamentale ou à des niveaux de prise de décision plus élevés.

Pourquoi ?

En 2010 JP Lainé disait «  la science est maintenant tellement au cœur de nos sociétés et de nos vies quotidiennes, qu’il faut introduire une nouvelle dimension démocratique » .La place égale des femmes dans toutes les disciplines scientifiques est une composante déterminante de cette dimension .

3 étapes jalonnent le chemin des femmes  vers le savoir.

Tout d’abord « les filles sont-elles aptes à RECEVOIR le savoir ? cela concerne leur droit à l’accès à l’école. Puis sont-elles capables de le TRANSMETTRE c’est leur accès à l’enseignement,  enfin  , sont-elles capables d’en CREER ? –   cette interrogation est encore actuelle –

Identifier les causes profondes de la faible participation des femmes dans les sciences est complexe,  les obstacles sont un faisceau  de causes connexes,  souvent invisibles: culturelles, sociétales, institutionnelles, politiques, économiques et individuelles.

Pour certains, l’éloignement des femmes de « la science » et la prééminence masculine serait d’origine mythique : la science servirait à dominer la nature, associée au féminin

Dans l’imaginaire des filles elles mêmes, la biologie, la médecine, sont associées à la vie, donc à elles.  Le problème de la représentation est donc essentiel

Les 1ers obstacles sont d’ordre éducatif.

La pauvreté est la cause principale de l’inégalité dans l’accès à l’enseignement supérieur cela s’explique par le fait que  les femmes et les fillettes sont la majorité du milliard des pauvres . D’autre part, la proportion des femmes analphabètes n’a pas évolué depuis  20  ans : elles constituent toujours les deux tiers des 796 millions d’analphabètes de la planète.

Des progrès ont été réalisés ces dernières années  en matière de parité  des sexes dans l’enseignement primaire,  mais les disparités se sont creusées au niveau secondaire, notamment en Afrique..

Et, si les femmes font une percée dans l’enseignement supérieur,  elles continuent de ne représenter que 29 %  des chercheurs dans le monde :  19% en Asie , 34% en Europe, 35 % en Afrique, 45 % en Amérique du sud.

Les chercheuses sont très majoritaires des pays tels  la Birmanie 85 %!!  la Bolivie 63%!

2 les obstacles  d’ordre politique et économique : dans de nombreux pays , les politiques  égalitaires ne sont ni prioritaires ni contraignantes et  la course aux profits  utilise  l’exclusion des femmes, la précarisation de leur travail, le temps partiel (3 à 5 fois plus que les hommes.)…

Ex notre ami Andras Hrabak de Hongrie a analysé pour nous les causes de la situation des femmes scientifiques hongroises :  bas salaires,  congés de 2 à 3 ans pour s’occuper des enfants favorisés par la politique conservatrice actuelle. Il a fait une observation intéressante : plus il y a de mathématiques dans une spécialité, plus le nombre de femmes est bas, et dans salaires hauts : beaucoup d’hommes .

3 les obstacles culturels et les stéréotypes sexistes, basés sur des différences  dites «  naturelles » entre filles et garçons.

par ex, édité pour l’Afrique francophone un livre de mathématiques considérées comme une discipline neutre, véhicule les mêmes clichés des rapports sociaux : les femmes ne sont citées que 10 % dans le texte et 5 % dans les images et identifiées par leur fonction familiale et nourricière . Et cela alors que 42% des enseignants en Afrique subsaharienne sont des femmes !! Aux USA, le président d’une prestigieuse université a dit  « Si les femmes sont moins nombreuses que les hommes à enseigner les sciences à Harvard, c’est peut-être qu’elles sont moins douées pour ces matières » !

Et aussi les coutumes qui marient les filles dès 15 ans même si elles sont brillantes à l’école . Les religions aussi pèsent : en Arabie Saoudite les femmes sont 1,4% des chercheurs !!

Ces définitions traditionnelles du rôle des femmes dans la société et les mythes sur l’incompatibilité intrinsèque des filles au travail scientifique sont entretenus et retransmis de génération en génération. S’il est facile de démontrer scientifiquement que le contraire est vrai, effacer des attitudes culturelles si enracinées est une tâche bien plus complexe.Femme scientifique-ThomasWalenta

4 les obstacles de carrière . Faire carrière dans les milieux scientifiques est un parcours semé d’embûches . Trop d’ emplois temporaires, mal payés pour les jeunes femmes  à qui on demande aussi un maximum de publications, de contributions, de recherche de financement de projet, et ceci à un moment de leur vie qui est celui du temps des maternités !

Un journal allemand a publié en 2012 «  entre la crèche et le laboratoire de recherche , il faut choisir ! » En Suisse, une biologiste de renom écrit qu’une femme ne sera probablement jamais la meilleure scientifique ou la meilleure mère, elle devra faire des compromis !!

Les discriminations interviennent  plus subtilement au moment des entretiens d’embauche, des processus d’évaluation des publications  ,  et des promotions.

D’après un rapport international , les femmes chercheures et scientifiques demeurent absentes des postes de responsabilité au plus haut niveau dans le monde entier .

Tout n’est pas noir bien sûr, des dispositions concrètes se mettent en place telles celles dans les pays en développement qui ont besoin de plus de femmes scientifiques . Certains pays financent.  une partie des études des filles (Bangladesh, au Kerala)

L’UNESCO  a engagé des actions qui visent à réduire les inégalités dans le domaine de l’accès à l’éducation, et de l’amélioration de la qualité de l’enseignement, en passant par la participation accrue des femmes à la science, à la technologie, à l’innovation et à la recherche. Ces considérations sont intégrées à son action normative dans des domaines tels que l’éthique de la science, la culture et les droits Humains.

La commission européenne a lancé pour les 13-18 ans une campagne «  La science c’est pour les filles » où le i de science est un tube de rouge à lèvres ! et le graphisme tout en rose !! cela a provoqué des tollés.

En fait, les femmes scientifiques  seraient-elles  des femmes comme les autres, soumises à une domination multiforme ancienne qui justifie cette situation ?

La réalité des discriminations  des femmes,  conduit souvent à poser les enjeux uniquement en terme de « droits des femmes »,  en minorant ou ignorant la spécificité de la domination de sexe laquelle revêt un caractère transversal qui sous-tend les structures de pouvoir.

Vues sous cet angle, les contradictions spécifiques marquant le travail des femmes scientifiques apparaissent plus nettement. C’est dans le cadre des bouleversements profonds du mode de production capitaliste que se structure dans le travail une nouvelle articulation entre rapports sociaux de sexe et rapports sociaux de classe.

On observe parfaitement dans ce cas comment le « sexe naturel » se traduit sur le marché du travail de façon spécifique par le « sexe social », en renforçant domination et exploitation.

Une femme vaut moins qu’un homme sur le marché du travail, c’est la « valence différentielle des sexes » selon l’anthropologue Françoise Héritier.

Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes , mais une société paritaire serait en phase avec les évolutions du monde, et la nécessité de construire une autre civilisation.

De la professeure en neurosciences qui dit « Je suis faite en acier, Dieu soit loué ! Sinon je ne serais pas là » à la chercheuse en cryptographie qui pense «  que la vie de scientifique est fantastique. Qu’elle est passionnante parce que chaque jour il y a quelque chose à faire et à réfléchir. Il y a des choses difficiles c’est certain, des moments où on ne trouve pas de solutions, Mais c’est une vie extraordinaire. » , les femmes scientifiques montrent que les femmes sont une part importante des ressources humaines de tous les pays,  un réservoir de talents pour la science, la technologie et l’innovation.

Il y a 2 siècles, Stendhal soutenait que «  L’admission des femmes à l’égalité serait la marque la plus sûre de la, civilisation et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain »

Sources : ISU Institut de Statistique de l’UNESCO

               Rapport international Science, technologie et genre

              Elisabeth Gautier « Femmes, travail et métiers de l’enseignement »

              Die Ziet, New York Times, Courrier International