Grèce, un traitement de choc inacceptable

Appel des syndicats français de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques

« Pain, éducation, liberté » le slogan du soulèvement des étudiants de l’École Polytechnique d’Athènes de novembre 1973 contre la junte militaire est aujourd’hui repris par les manifestants grecs.

Soumis au chantage de la Troïka (UE, BCE, FMI) depuis 2010, les gouvernements grecs successifs multiplient les plans d’austérité. Dès 2010, le FMI avait envisagé une restructuration de la dette publique, mais les chefs d’État et de gouvernement de la zone Euro s’y étaient alors opposés. Deux ans plus tard, au printemps 2012, une restructuration eut lieu : la Grèce était à deux doigts de la cessation de paiement. En effet, entre temps la dette avait effectué un bond, passant de 130% du PIB à 170% , et l’économie s’était effondrée avec une chute de 9% du PIB. Les prêts octroyés par la Troïka dès 2010 conditionnés à des politiques d’austérité drastiques avaient aggravé la crise et n’ont nullement servi à « sauver » le pays, ni à rembourser la dette. Depuis, la même orientation perdure, et la situation empire.

Au-delà des chiffres, il y a la réalité sociale et humaine, les femmes, les hommes et les enfants, la montée de la pauvreté, des dépressions, des suicides. Plus d’un quart de la population active est au chômage. Les salaires sont amputés, un grand nombre de salariés ne sont plus payés depuis des mois, voire un an. Des écoles ferment. Des hôpitaux manquent de médicaments. Les conditions sanitaires se dégradent. Les dispensaires sociaux, fondés et maintenus grâce au dévouement bénévole de médecins, personnels de santé et citoyens, n’arrivent pas à masquer le péril sanitaire. Par milliers les fonctionnaires perdent leur emploi : ils sont « mis en disponibilité », considérés comme « surnuméraires ». Les conventions collectives sont annulées. Les droits syndicaux sont bafoués. Les actes de violence se développent, en premier lieu à l’égard d’émigrés. Des meurtres de militants politiques ont été perpétrés.

Le secteur de l’éducation, qui devrait préparer l’avenir de la Grèce, est particulièrement touché. De plus, par dizaines de milliers les jeunes diplômés et les étudiants grecs émigrent, notamment vers des pays d’Europe où la crise est moins aiguë, offrant un afflux de main d’œuvre qualifiée qui vient renforcer ces pays au détriment de la Grèce.

L’enseignement supérieur et la recherche (ESR) avaient su, en Grèce plus que dans tout autre pays européen, résister au néolibéralisme. L’article 16 de la Constitution stipule que « Tous les Grecs ont droit à l’enseignement gratuit à tous les niveaux des établissements d’enseignement de l’État ». Grâce au haut niveau d’engagement de ses personnels et des étudiants, l’université publique et ses instituts de recherche, malgré un manque chronique de moyens, constituaient une importante richesse tant pour la jeunesse, que pour la société dans son ensemble. La connaissance, la recherche et l’enseignement conçus comme garants de la démocratie et du développement de la société et du pays avaient le soutien déterminé des étudiants et de leurs familles qui, avec des personnels des universités, avaient bloqué ou freiné la soumission de l’ESR aux intérêts du marché et des entreprises. Mais la crise a donné au gouvernement grec le prétexte d’un passage en force d’une transformation néolibérale de l’ESR.

En mars 2013, imposant le plan Athéna de « rationalisation » de l’affectation des ressources, reposant sur des fusions et suppressions de départements, de facultés, d’universités et d’établissements supérieurs techniques, le gouvernement grec a réduit la présence du service public sur le territoire, créant les conditions d’une reprise par le privé de secteurs d’enseignement, en violation flagrante du point 16:8 de la Constitution grecque : « La mise en place d’établissements de niveau universitaire par des personnes privées est interdite ». Déjà avant, on avait commencé à octroyer des autorisations à ces établissements ; pour éviter l’illégalité, le gouvernement arguait, par un tour de passe-passe, que ceux-ci n’étaient nullement des universités privées, car ils n’en avaient pas le nom. Or ces établissements, de nature purement commerciale, attirent des jeunes qui ne peuvent pas entrer à l’université, en leur faisant miroiter des formations professionnelles et un accès rapide sur le marché du travail. En réalité, ils ne font qu’extorquer de l’argent, en accentuant davantage la désespérance d’une jeunesse avide d’études et de diplômes.

La situation de la Grèce est de plus en plus dégradée, et les dirigeants européens poursuivent inflexiblement leur exigence d’austérité toujours accrue et de mise en place du modèle néolibéral. Si bien que l’ESR est victime d’une nouvelle réduction de ses moyens, avec l’objectif de réduire de 4% le nombre d’étudiants admis à entrer dans l’enseignement supérieur en 2014, et l’impossibilité pour certains services de fonctionner en raison du nombre de postes de fonctionnaires supprimés. Aujourd’hui, ce sont principalement les personnels administratifs qui sont touchés. Mais les nouvelles mesures qui s’annoncent visent également le personnel technique spécialisé et les enseignants. Dans ce contexte, depuis la rentrée universitaire 2013, huit universités grecques ont connu d’importants mouvements de grève. L’université d’Athènes est fermée, son Président sous le coup d’une plainte disciplinaire de la part du Ministre de l’Éducation nationale qui lui reproche de maintenir son établissement fermé et de « céder » ainsi au mouvement de grève.

Nous apportons notre plein soutien aux collègues mobilisés en Grèce pour défendre leur université, et exprimons notre ferme opposition aux plans d’austérité exigés par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE, la BCE, la commission européenne et le FMI.

Nous appelons les chefs d’État et de gouvernement européens, en particulier le Président de la république et le Premier ministre français, à rapidement impulser un changement de politique à l’égard de la Grèce. L’intégration européenne ne peut se faire sur la base de la désagrégation d’un pays membre de l’Union. Une politique solidaire avec la Grèce est un devoir à l’égard des femmes et des hommes qui vivent en Grèce et une exigence pour sauver le projet d’une Union à l’échelle européenne.

Les syndicats français de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques (FMTS) : SNCS-FSU, Snesup-FSU, SNTRS-CGT, UGICT-CGT.