Science et démocratie

par , J. P. Lainé, conférence INES, Mexico, 3-03-2008.

Intervention à la conférence d’INES à Mexico, séance de clôture à l’UNAM

Science et démocratie

Le dialogue scientifiques – animateurs des mouvements sociaux

1 – La science et la technologie sont au coeur des sociétés actuelles, depuis le plus concret (travail, vie quotidienne) jusqu’aux superstructures (culture, communication) et jusqu’aux choix, moyens d’une politique d’Etat, de Région ou International (développement économique, environnement, militaire…). Cependant le développement sans précédent des connaissances et des technologies souffre de deux caractéristiques inégalitaires : il est assuré pour l’essentiel par une minorité de pays et il n’est pas partagé par tous les milieux sociaux : cela n’est pas sans conséquences sur le type de connaissances et surtout sur leur application et sur la nature des bénéficiaires. (nous reviendrons sur l’inégalité géographique et sociale de l’accès au savoir).

2 –L’impact de la science et de la technologie est ambivalent : il est tributaire des choix politiques et économiques ; la science appliquée et la technologie peuvent générer le meilleur comme le pire. Des progrès considérables en matière de santé (confort et durée de vie), de mobilité, de communication, d’instruction ont eu lieu (j’ai dit instruction et non éducation). Cependant et c’est effrayant, des sommes fantastiques sont consacrées aux œuvres de mort : la part de R et D consacrée au militaire est très importante et non évaluée car pour l’essentiel cachée. Rappelons-nous que le total des dépenses militaires avoisine les mille milliards de dollars pour toute la planète (près de 200 dollars par habitant, 2,5% du PIB mondial) alors que l’aide au développement dépasse à peine 1es 100 milliards. Des défis énormes provoqués par l’activité humaine sont à relever (réchauffement climatique, pollution). Jusqu’ici l’humanité a su relever les défis externes : climats et catastrophes naturelles, nourriture, pandémies. Saura-t-elle relever ceux-ci qui exigent d’autres qualités et une éthique collective ? Les responsabilités sont essentiellement celles des pilotes, les pouvoirs politiques et économiques mais elles sont aussi celles des scientifiques eux-mêmes, trop souvent prisonniers des schémas positivistes, technicistes et « occidentaux »… et de leur dépendance matérielle. Il faut réorienter la recherche, en connexion avec le développement « interne » des savoirs », vers la satisfaction des besoins humains, pour la paix et la protection de la planète.

3 -La politique scientifique est donc si grave de conséquences qu’elle doit être conduite majoritairement sous le contrôle citoyen : elle doit être débattue par les personnels de la recherche et par les populations. Concrètement – et là je parle au nom de mon syndicat des enseignants du supérieur en France- nous voulons que la recherche fondamentale, adossée à l’enseignement supérieur, soit un service public, pour sa garantie d’indépendance (des religions, idéologies, pouvoirs politiques et économiques) et de liberté de création et de diffusion pour être au service du public. Peut-être est-ce notre histoire, notre passé en France qui nous fait insister sur le rôle de l’Etat. Le financement par celui-ci, le contrôle a posteriori par la représentation nationale nous semblent la moins mauvaise garantie de démocratie et d’autonomie. Le débat porté dans la population au plus large, l’investissement de la société civile, des acteurs du mouvement social –terme que je préfère – impliquent le développement de l’éducation, de la culture, de l’esprit critique, une formation générale de base élevée de la population (permettant l’exercice d’une vie d’homme libre) : l’école, l’éducation au sens large mais aussi les medias et les institutions culturelles ont un rôle important à jouer. La discrimination sociale comme le sous-développement sont des drames pour les personnes mais aussi pour l’humanité toute entière. Toutes les cultures, toutes les civilisations ont quelque chose à apporter à l’édifice commun des savoirs, à leur partage, dans tous les domaines depuis les sciences humaines et sociales jusqu’aux sciences « « exactes ».

4 – La condition des scientifiques, universitaires, chercheurs, ingénieurs ne peut être passée sous silence : elle est l’un des moyens qui permettent d’assurer la liberté, la responsabilité, l’autonomie véritable. Cela comprend les questions des statuts et des salaires des travailleurs de la recherche, des structures et du mode de gestion des organismes, de l’évaluation des organismes, des laboratoires et des personnes : la collégialité, l’évaluation par les pairs, l’administration sous le contrôle d’élus ne sont pas des détails. Alors que ces principes ont été arrachés par nos prédécesseurs, les pressions, les menaces se développent dans le monde entier pour introduire des logiques du privé sinon pour privatiser directement. J’insiste en particulier sur la condition des jeunes chercheurs qui sont trop souvent les « galériens » de la recherche, sans statut, sans protection. Des jeunes aux « seniors », la liberté et la responsabilité individuelle et collective facilitent le courage de dire non, de dénoncer les entraves et les atteintes à la vérité scientifique, d’être des « lanceurs d’alerte ».

5 – Je voudrais conclure sur le rôle des syndicats, des associations et des ONG comme les nôtres : la priorité aujourd’hui est de répandre l’idée que la science concerne les scientifiques eux-mêmes et l’ensemble de la population ; c’est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux mains des dirigeants politiques, économiques et scientifiques. Nos organisations doivent et peuvent faire le pont entre la communauté scientifique et la population, développer le sentiment de responsabilité chez les chercheurs et le devoir d’intervention sur la politique scientifique chez les animateurs des mouvements sociaux, chez les militants syndicaux et politiques, chez les « altermondialistes ». Ainsi INES, comme un autre réseau de scientifiques-la FMTS, auquel mon syndicat appartient également-, comme déjà plus de cinquante organisations, a appuyé le projet de journée dédiée à « sciences et démocratie » lors du prochain Forum Social Mondial à Belem au Brésil en janvier 2009.

Mexico, le 3 mars 2008

Jean-Paul Lainé, responsable international du SNESUP et de la FSU de France, membre du comité exécutif d’INES