De Copenhague à Cancun, quel rôle pour les scientifiques ?

Déclaration de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques

Le résultat de la Conférence de Copenhague avait provoqué une très grande déception et beaucoup d’inquiétude dans une grande partie de l’opinion publique. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avait indiqué dans son 4ème rapport, les chiffres de réduction d’émission de CO2 auxquels il faudrait s’astreindre pour enrayer une évolution dangereuse du climat. La Conférence s’est achevée sans engagements sur ces chiffres de la part des États.

Certains scientifiques avaient contesté les affirmations contenues dans le rapport du GIEC quant à l’importance du rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique. Il n’est pas de la vocation de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques de prendre position sur le bien fondé de ces contestations. Le débat scientifique est normal. Il fait partie du processus d’avancée des connaissances. La vérité scientifique n’est pas le résultat d’un vote majoritaire. Toutefois, étant donné la gravité du risque, l’existence d’une opinion scientifique majoritaire doit être prise en compte quelles que soient les conjectures sur l’affinement possible de ces connaissances dans le futur. On ne peut pas attendre pour agir « de voir ce qui s’est produit en fin de compte et qui avait raison » ! C’est tout le sens de Copenhague et de la déception qui s’en est suivie.

L’avenir de la Planète Terre et de la Société humaine qui l’habite dépend des activités humaines à un point tel que la réalisation d’une volonté mondiale commune est devenue une nécessité absolue pour maîtriser cet impact. Les risques inhérents au changement climatique ne sont pas les seuls risques engendrés par le développement économique. Sont en cause l’ensemble des problèmes de pollution et autres nuisances, ainsi que le gaspillage des ressources naturelles et leur épuisement. Les conséquences de ces gaspillages apparaîtront tôt ou tard comme aussi redoutables pour notre avenir que celles liées à l’émission de gaz à effet de serre. Qu’il s’agisse des effluents agricoles, industriels ou domestiques, il faut donner la priorité aux procédés conduisant à la régénération complète des intrants. Il est urgent de mettre un terme au gaspillage des matières premières, des richesses de la planète en général et pas seulement au gaspillage des combustibles fossiles. Ce « nouveau développement » impliquera un immense effort de recherche scientifique dans des directions jusqu’ici ignorées ou négligées.

Il n’avait pas manqué de voix pour affirmer que l’échec de Copenhague était prévisible. Le véritable obstacle est connu : c’est la mise en cause de puissants intérêts économiques. Les mesures contraignantes que l’on espérait voir adopter par la Conférence de Copenhague avaient de lourdes conséquences pour la compétitivité des économies nationales. Une fois de plus le dogme de la concurrence prétendument libre à l’échelle mondiale se révèle être un obstacle au développement durable. Ceci souligne aussi la nécessité de disposer d’organismes scientifiques favorisant l’indépendance intellectuelle et l’indépendance économique de ses membres. Il faut en finir avec ce dogme. Il faut instaurer un nouveau type de relations économiques mondiales.

Nous sommes arrivés à un stade d’exacerbation où toute entreprise est menacée d’être absorbée et de disparaître si ce n’est pas elle qui absorbe les autres. La « concurrence libre et non faussée » sur laquelle veille l’OMC est un mythe qui contribue à détruire les solidarités et les missions publiques existantes. La libre circulation des capitaux et la domination des marchés financiers ont ouvert le règne des prédateurs. Pour ne pas être mangé il faut manger l’autre. Comment ne pas voir que, dans ces conditions, les efforts de réduction d’émission de gaz à effet de serre sont compromis ? C’est le court terme et le « le chacun pour soi » qui l’emporteront. Comment imaginer qu’on puisse maîtriser la croissance si on ne met pas un terme à une situation où il n’est point de salut hors une course effrénée à la croissance ? Et comment ne pas comprendre qu’un État qui laisse son économie nationale perdre toute indépendance se condamne à perdre lui-même tout pouvoir, tout moyen d’action quant à la mise en œuvre d’un accord international comme celui qu’on espérait de Copenhague.

Ce type de croissance est devenu insupportable. Des milliards d’êtres humains sont maintenus dans un état de pauvreté compromettant la maîtrise de la démographie. Loin de se limiter au blocage des efforts pour un développement durable, les méfaits de ce type de croissance se manifestent aussi dans la définition des politiques scientifiques et dans tous les domaines de la vie économique et sociale. L’éclatement de la crise financière mondiale en 2008 en apporte une preuve supplémentaire.

Nous ne nous estimons pas compétents pour critiquer les institutions onusiennes à qui certaines voix font porter la responsabilité de l’impasse actuelle. Mais notre conviction est que la solution passe par un accord entre les États. Il dépend d’eux que l’on sorte de la dynamique économique actuelle, obstacle principal à la maîtrise du développement. Ils doivent s’accorder pour :

• mettre un terme à la libre circulation des capitaux par l’instauration de règles protégeant notamment les États contre les fuites de capitaux en réaction à la réalisation de projets de développement durable ;

• contraindre les banques centrales et les institutions financières internationales à promouvoir des politiques monétaires, de crédit et d’épargne privilégiant les besoins de l’économie réelle ;

• substituer au dogme de la concurrence prétendument libre et non faussée, particulièrement dans l’action de l’OMC, le principe de relations commerciales équitables dans le cadre d’accords internationaux multilatéraux ;

• reconnaître des règles de protection de son économie lorsqu’un État entreprend unilatéralement d’introduire dans sa production agricole ou industrielle des transformations conformes aux recommandations du GIEC ou à d’autres impératifs du développement durable ;

• bannir l’exportation de produits polluants par les pays riches vers les pays sous-développés ;

• encourager la création ou la restauration de services publics dans les domaines où l’intérêt collectif l’exige : transport, énergie, eau, santé…

Les travailleurs scientifiques du monde entier, qu’ils appartiennent au monde académique ou au monde de l’industrie ont un rôle à jouer. Il y va de l’image de la science et de l’idée que l’opinion se fait de la responsabilité des scientifiques dans le contenu de la croissance et de la signification du progrès.