La place de la science dans le développement économique et social
Introduction au débat. Cheikhou Sylla secrétaire général du SUDES (Sénégal)
La Fédération mondiale des travailleurs scientifiques pose aujourd’hui le débat sur la place de la science dans le développement économique et social à l’occasion de ce colloque pour approfondir la réflexion sur les perceptions de ces relations complexes et faire des propositions et des recommandations concrètes. Il s’agit de rénover ou de revisiter les liens nécessaires entre le développement économique et social et la science. Il s’agit également d’appeler les travailleurs scientifiques et leurs organisations à agir dans le sens de développer de manière consciente ces relations.
Nous sommes tous convaincus que l’élévation du niveau de qualification scientifique doit devenir le principal objectif d’une politique économique et sociale. La place de la science dans le développement économique et social est largement reconnue aujourd’hui même s’il existe encore des secteurs et des couches sociales qui croient plus aux séances de divination de « saltigués » ou autres « chasseurs Bambaras » qu’aux données prévisionnelles fournies sur la base de statistiques. La science concerne tous les domaines de la connaissance. Il ne s’agit nullement des seules sciences dites dures.
Pour notre part, l’on peut songer à deux hypothèses sur la perception de la science.
La science est une activité « consciente » de production d’un savoir « (re) connu » comme « scientifique » c’est-à-dire susceptible d’évolution dynamique et de « restructuration ».
Et le recours à la science doit être fondé non sur la « foi » mais sur la « conviction » que les solutions qu’elle offre sont pour le moment les plus « raisonnables ».
Pour y faire une place à l’Afrique, l’on ne peut manquer de penser alors à l’éminent Egyptologue Cheikh Anta DIOP, parrain de l’université de Dakar, grand savant africain dans son célèbre ouvrage, Civilisation ou Barbarie, paru à Paris, Présence Africaine, écrit à la P 16 : << L’existence d’une égyptologie africaine, seule, permettra, grâce à la connaissance directe qu’elle confère, de dépasser pour de bon les théories frustrantes et dissolvantes des historiens obscurantistes ou agnostiques qui, à défaut d’une information solide puisée à la source, cherchent à sauver la face, en procédant à un hypothétique dosage d’influences comme s’ils partageaient une pomme.
Seul l’enracinement d’une pareille discipline scientifique en Afrique Noire amènera à saisir, un jour, la nouveauté et la richesse de la conscience culturelle que nous voulons susciter, sa qualité, son ampleur, sa profondeur, sa puissance créatrice.
L’Africain qui nous a compris est celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terra entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.
Aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère post-industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie.>> Le développement et la qualité de vie d’une nation dépendent de son niveau culturel et scientifique en relation avec la place qu y occupe l’enseignement supérieur.
Les recommandations sur le statut et la protection des chercheurs de l’UNESCO de 1974 ainsi que la recommandation de 1997 sur la condition des personnels de l’enseignement supérieur constituent des atouts pour les chercheurs à côté du Manifeste de Lisbonne de 1992 qui liait droits et devoirs, de la Déclaration sur la science et l’usage des connaissances scientifiques et l’Agenda pour la science adoptés par la Conférence mondiale sur la science à Budapest en 1999.
Il est possible d’indiquer quelques axes pour organiser nos discussions et formuler des recommandations ;
1/ Il y a un lien étroit entre la conduite du développement économique et social et la définition de la politique scientifique.
Comme l’a dit le Président André Jaëglé dans son message d’ouverture du colloque, le rôle de la science n’est pas l’affaire des seuls scientifiques. La responsabilité de la politique de développement incombe au pouvoir politique. Les citoyens et les scientifiques doivent prendre part à l’élaboration des conditions de production des savoirs pour répondre aux besoins de la société.
Cela veut également et surtout dire que les pouvoirs publics ne peuvent renoncer à leur rôle dans la définition et la conduite des politiques publiques en matière de recherche et de développement économique et social. On peut l’appliquer à tous les domaines la recherche scientifique fondamentale notamment en physique comme dans la recherche industrielle.
Et la question essentielle de l’enjeu du développement des recherches appliquées, des synergies interdisciplinaires et intersectorielles, et de la nécessaire liaison entre recherche fondamentale et recherche appliquée sont encore plus qu’actuelles.
2/ La production scientifique ne peut être réduite à un objet de pur marché selon les seules règles des intérêts privés
Là où le marché régit la recherche le budget public diminue et les scientifiques ne traitent que la demande privée solvable. Ces réalités sont valables aussi bien au plan national, qu’au plan international.
La solution au problème du financement de la recherche est fondamentale dans la maîtrise de ce processus de production des connaissances scientifiques pour le développement économique et social.
3/ La place de l’enseignement supérieur et la recherche risquent de pâtir des situations où la crise des gestions financières conduisent à de nouvelles perspectives d’Ajustement.
L’enseignement supérieur et la recherche scientifique occupent aujourd’hui une place privilégiée reconnue de tous dans le processus de développement social et économique des nations. Et le professeur Oumar SOCK, dans une étude sur << Politique d’enseignement supérieur et recherche scientifique au Sénégal : Situation actuelle et perspectives (2004)>> y ajoute que les structures d’enseignement supérieur, considérés comme de véritables pôles de création, d’appropriation et de diffusion des savoirs et de recherche scientifique permettent de doter les sociétés et les individus qui les composent, femmes et hommes, des connaissances et des compétences appropriées pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle pour un développement socio-économique harmonieux et durable. Et citant la Banque Mondiale, il poursuit, la contribution de ces systèmes « exerce en effet une influence directe sur la productivité nationale qui, dans une large mesure, détermine le niveau de vie et l’aptitude d’un pays à être compétitif et à participer pleinement au processus de mondialisation. Plus spécifiquement, les établissements d’enseignement supérieur soutiennent les stratégies de croissance économique axée sur le savoir et la réduction de la pauvreté… » .
4/ La nécessité d’améliorer les conditions de la recherche et des chercheurs et d’apprentissage pour favoriser le développement économique et social
Les nombreuses difficultés liées aux conditions des enseignants et des chercheurs ont une influence directe sur le développement économique des nations. Au-delà du problème du financement de la recherche, la question des salaires, de la précarité des enseignants et des chercheurs s’ajoute dans certains cas au besoin de création et de développement des infrastructures d’enseignement supérieur et de recherche !
Cette initiative doit accompagner la création de postes d’enseignants et de chercheurs en conséquence ! On peut également rappeler la nécessité des réformes des formations surtout dans les pays en développement avec un développement des TIC dans l’enseignement supérieur pour combler les fractures économique, scientifique et numérique.
Enfin, faut-il le rappeler avec l’UNESCO, un pays ne peut envisager un développement économique et social soutenu et durable que si les 2 % de sa population ont un niveau supérieur d’éducation ! Les bacheliers sénégalais de 2008 demandent encore un accueil impossible dans les structures d’enseignement supérieur !