La Russie et le Modèle social européen
par Marina Kargalova, Académie des Sciences – Russie
Tout d’abord je voudrais remercier les organisateurs de ce meeting, la Fédération mondiale dés travailleurs scientifiques, pour la possibilité d’être présente ici et de communiquer quelques réflexions à un auditoire aussi qualifiée.
Je représente l’Académie des sciences de Russie, l’Institut de l’Europe, directeur du Centre des Études Sociales. C’est pourquoi les sujets proposés pour la discussion à cette conférence nous intéressent énormément, particulièrement les problèmes du développement économique et social de la société moderne.
Aujourd’hui nous vivons dans un monde marqué par des changements rapides et de grande ampleur. Toutes les sociétés sont en pleine mutation : de nouvelles réalités sociales voient le jour compte tenu d’une crise globale. Le contexte mondialisé change très vite. Nous voyons les ébranlements économiques, de grands problèmes énergétiques, les changements climatiques dont on commence à sentir les effets. La question la plus actuelle est : comment fuir les conséquences négatives de la globalisation qui détermine notre vie aujourd’hui et en particulier de la crise qui a frappé le monde ? Tout cela exige la consolidation de toutes les forces saines, la cohésion des efforts communs. Le développement de la société se réalise par les acteurs sociaux.
L’idée de construire le nouvel ordre, posée par le XXIème siècle et de créer le monde multipolaire est déjà mûrie. L’Europe, avec son Modèle social (MSE) a toutes les chances de devenir un de ces pôles. Le MSE a tous les atouts pour prétendre à la reconnaissance mondiale puisqu’il est formé autour de l’axe social et propose de nouvelles perspectives, non seulement pour l’Europe mais aussi pour les autres régions du monde.
Tout d’abord, c’est l’idée de la nécessité de la cohésion sociale et de la coopération de tous les acteurs par l’intermédiaire de la politique du partenariat social.
Aujourd’hui, le dialogue social devient plus large et a tendance à se réunir avec le dialogue politique et civil ; il ouvre la voie au contrat social proclamé autrefois par Keynes et Erhard.
Les acteurs réalisant le contrat social sont l’État, le Business et la Société civile.
Le rôle de l’État reste évident bien que les formes de son activité soient modifiées. L’État se montre en même temps comme grand propriétaire et employeur ; en outre, il réalise une volonté politique.
L’activité de Business avec son rôle de locomotive de la mondialisation doit passer sous le signe de sa responsabilité sociale corporative. Ses investissements en ressources humaines ne doivent pas être appréciés comme frais improductifs mais comme condition nécessaire à la croissance économique.
Enfin, la Société civile soutient la politique d’État en considérant les acquis économiques comme fondement de développement social. Mais aujourd’hui elle prétend en plus à la participation, à la gouvernance et au contrôle comme partenaire égal en droit. Bien sûr, pour effectuer ce rôle, la société civile doit être bien organisée et ses structures doivent fonctionner effectivement.
La convergence se base sur l’harmonisation des intérêts de groupes sociaux et ceux de la société toute entière. Cela suppose le refus de « l’euro scepticisme », la mise à l’écart « du pragmatisme cynique » (d’après Habermas), la confiance au pouvoir. C’est pourquoi la construction de « l’Europe des citoyens » est si importante. Aujourd’hui, le partenariat social réalisé via le contrat social est passé du niveau de l’entreprise à l’échelle internationale. C’est une des voies du transfert du MSE au niveau global.
Il n’est pas évident que tous les États nationaux soient prêts à recevoir ce modèle comme cliché. Il faut être très prudent en employant le terme « l’export du MSE ». Même les États qui sont prêts à l’accepter comme exemple, sont obligés de prendre au départ des positions différentes. En plus il faut être sûr que les sociétés nationales sont prêtes à assimiler les valeurs proposées par le MSE. Cette question a aussi une dimension mentale et morale. L’exemple – l’existence de doubles standards quand il s’agît de la coopération de partenaires internationaux. Cela empêche au dialogue objectivement désiré.
Comment la Russie peut être incluse à ces processus ? Notre pays est une partie intégrante du système mondial, mais, hélas, une faible partie. Pour réaliser les réformes démocratiques, créer l’économie de marché concurrentielle, elle doit franchir la voie difficile déjà franchie par l’Europe. Nos réformes avancent lentement. La structure sociale en Russie n’est pas encore le partenaire ayant la valeur requise de l’État et du Business. L’intérêt de notre pays pour le MSE n’est pas fortuit. Il se fie aux valeurs communes, aux traditions historiques et culturelles. Voilà pourquoi le problème du contrat social, de l’activité harmonisée de l’État, du business et de la société civile reste un des plus importants et actuels.
L’idée de la responsabilité corporative sociale est déjà fixée dans les documents de grandes compagnies et entreprises comme LUCOIL, Gasprom, Russal. Ce sont des Conventions collectives, des Stratégies sociales, des Codes sociaux. Le système de l’audit social se développe. Les représentants de l’État, du business et des syndicats travaillent ensemble au sein d’une Commission tripartite. Par l’intermédiaire de la Chambre publique, créée en 2004 la coopération du Parlement, du gouvernement et des organisations de la société civile (syndicats) se réalise.
Le trait particulier de la Russie est que le partenariat social est cultivé du haut comme un des éléments de la modernisation économique et sociale. On peut dire que la structuration du dialogue social en Russie a commencé à se former avant la formation dé partenaires sociaux eux-mêmes.
En même temps, il faut mentionner pas mal de moments positifs. Bien que souvent lés finances nécessaires pour l’économie réelle soient détournées des besoins sociaux, la politique visant à l’amélioration de la qualité de vie reste invariable. La Douma (parlement) a adopté le budget pour les trois prochaines années. Les chiffres de ce budget montrent que les points de repère sociaux ne seront pas modifiés malgré la crise globale. Les citoyens de Russie ont déjà ressenti l’effet dé la réalisation des Projets nationaux sociaux et des programmés d’État. Il s’agît de l’augmentation régulière et apparente des salaires, des retraites, des allocations familiales, etc.
Il existe pas mal de problèmes communs à la Russie, à l’Europe et aux autres régions du mondé : former une société civile bien organisée, gagner la confiance de la société envers le gouvernement, liquider les déséquilibres régionaux. (En Russie p.a. 80 régions sur 83 vivent avec les dotations d’État).
Le marché de travail avec les problèmes d’emploi, de chômage, d’approvisionnement de ce marché par la force de travail qualifiée exige l’attention vigilante. Ajoutons les problèmes engendrés par la migration. L’immigration (légale et clandestine) en Russie est presque semblable à celle de l’ UE — 12 millions. Il est clair que les problèmes de régulation de nombre, de mobilité, d’adaptation sociale et professionnelle doivent être résolus en commun. Le renouvellement du dialogue entre l’UE et la Russie sur la coopération stratégique est un bon signe.
Il est difficile de sous-estimer le rôle des travailleurs scientifiques dans ces processus, puisque c’est la partie de la société la plus qualifiée et instruite. Leur connaissance des problèmes principaux, leur capacité d’analyser, de proposer des variantes pour les résoudre, sont très importantes Ils peuvent contribuer au développement économique et social, grâce à un grand potentiel scientifique et technique. Ils peuvent aussi, en influant la conscience de masse, gouverner l’écologie sociale, c’est à dire créer un climat social favorable au développement de la société, à la coopération fructueuse des acteurs sociaux.
Le travail commun donne toujours de bons résultats. J’ai la chance de m’en assurer en prenant part à quelques projets internationaux. Ce sont « Monitoring of Régional Labour Markets in Europe » (A Transnational Workshop) — 2005-2008) et « European Research Group -European social model project -ESM PROJECT » qui poursuit son travail depuis 2005. Il me semble que l’idée de créer des groupes de travail sur trois thèmes dans le cadre des deux Commissions permanentes de la Fédération (commission socio-économique et commission de politique scientifique) est très actuelle.