Exposé introductif – Jean-Paul Lainé – Pékin 2024

Exposé introductif au Conseil Exécutif de Pékin-Huzhou – 12-17 août 2024
Jean-Paul Lainé

Mmes et Mrs des Autorités politiques et académiques
Chers collègues
Chers invités
Madame, Monsieur

Plan de l’exposé :

  • Préambule-JPL
  • Brève présentation de la FMTS-JPL
  • Les axes prioritaires – l’activité-JPL
  • L’organisation : l’outil FMTS-EM
  • Le futur de la FMTS, la feuille de route-EM

Préambule
Au nom de la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques (FMTS), je tiens à remercier les autorités politiques et universitaires qui nous font l’honneur d’accueillir ce Conseil Exécutif , n°96 ainsi que nos autres activités de la semaine, notamment le Symposium qui se tiendra  mercredi dans ces mêmes locaux, symposium ouvert au public et qui a pour titre « la Coopération Scientifique, moteur du développement durable, vert et non carboné».

Je précise tout de suite que suite aux décisions de l’Assemblée Générale de Marrakech en 2022, la présidence est bicéphale : cet exposé, je le prononce au nom d’Elies Molins, Professeur , directeur de recherche au CSIC d’Espagne  et de moi-même, Maître de conférences, chercheur dans un laboratoire associé au CNRS de France. Il est nourri des secrétariats mensuels et par le bureau qui a été chargé de s’assurer du suivi des décisions et de la préparation des réunions.

A Marrakech, il avait été décidé également, la tenue annuelle de 2 conseils exécutifs, l’un en présentiel (hybride en fait) et l’autre en visio-conférence exclusivement. Nous reviendrons sur cette évolution exigeante, favorable au travail en équipe mais très chronophage. L’organisation de cette réunion en Chine a bénéficié d’un bureau renforcé mais insuffisant.

Nous profitons de cette question d’organisation pour remercier nos amis de CAST, notre organisation -hôte qui a organisé concrètement cette semaine de travail en étroite collaboration avec notre bureau. Nous avons tenu des visioconférences depuis plusieurs mois. Nous tenons à souligner votre engagement humain comme nous tenons à remercier votre effort financier qui a permis de faire vivre la démocratie en prenant en charge séjours et voyages et par conséquent facilitant la venue de certains.

Nous nous félicitons du fait que plus de la moitié des membres du Conseil exécutif (C.E.) sont inscrits malgré les contraintes de temps et d’argent, malgré le contexte et tenons à remercier tous les invités présents, à titre individuel ou représentants d’organisations amies ou s: au total sont inscrits plus de 50 personnes présentant près de 30 organisations, provenant de 15 pays et 4 continents. Alors que nos organisations affiliées ont leur propre agenda, qu’elles sont accaparées par la défense individuelle et collective des collègues, par la reconnaissance de nos missions plus nécessaire que jamais, ce rassemblement est pour nous un encouragement.

Des parties de cet exposé font redondance pour nombre de participants, pour ceux qui sont membres du CE ou qui l’étaient dans un mandat précédent mais nous pensons que cette séance inaugurale, ouverte au public, aux collègues, aux travailleurs scientifiques d’ici, aux étudiants, à vous qui êtes invités ou nouveaux délégués, est aussi une opportunité pour nous faire connaître.

Brève  présentation de la FMTS
La Fédération mondiale des travailleurs scientifiques (FMTS), est une organisation internationale non gouvernementale partenaire officielle de l’UNESCO. Elle a été fondée en 1946, à l’initiative de personnalités scientifiques des sciences physiques notamment et d’un syndicat britannique, la British Association of Scientific Workers. L’existence de la FMTS était et reste avant tout un appel à toute la communauté scientifique à s’impliquer dans la mise de la science et de la technologie au service de la paix et du bien-être de l’humanité, un appel à ne plus revivre les tragédies des guerres mondiales d’autant plus que « grâce » à la science et la technologie de nouvelles armes aux capacités de destruction sans précédent sont utilisables et venaient d’être utilisées à Hiroshima et Nagasaki.

Deux axes de préoccupations convergeaient donc en faveur de la création de la FMTS en 1946 : la paix et le bien-être de tous dans un esprit de justice.

La FMTS est en fait un réseau d’associations professionnelles, d’ONG et de syndicats et non plus une fédération, terminologie de l’époque de sa création et plus vraie alors. C‘est un réseau dans la mesure où d’une part les décisions ne sont pas contraignantes et résultent d’un consensus et d’autre part parce que nous assumons une fonction de forum. Elle rassemble au sein des structures affiliées des personnels de la recherche publique et privée. Elle accueille aussi des personnalités à titre individuel. Son activité principale – outre l’activité UNESCO- réside dans les travaux des groupes de travail, ad-hoc ou permanents, dont les champs d’intervention sont notamment ; la paix, le désarmement et la coopération, le développement durable, le climat et l’énergie, les conditions de la recherche et celle des chercheures et des femmes scientifiques, le terme scientifiques englobant tous les métiers et de la recherche et de l’enseignement supérieur, du technicien au directeur de laboratoire.

Je reviens sur l’idée fondatrice de s’opposer à l’utilisation des progrès de la connaissance à des fins militaires : une des premières interventions de la FMTS fut de prendre part et d’inciter ses affiliés à souscrire à l’« appel de Stockholm » qui fut lancé en 1950, signé par des millions de personnes à travers le monde, ce qui empêcha certainement Truman, le Président des Etats-Unis, de recourir à l’arme nucléaire pendant la guerre de Corée.

Je précise que lorsque nous parlons de Science, nous entendons tous les savoirs fondamentaux et appliqués, des sciences humaines et sociales aussi bien que des sciences de la nature et des mathématiques. Une constante dans ces 3/4 de siècle d’histoire est de maintenir le dialogue et la coopération entre scientifiques de pays aux cultures, aux histoires et aux régimes politiques différents, ce cap a été tenu au temps de la guerre froide et il doit le rester aujourd’hui alors que nombre de dirigeants politiques, économiques et médiatiques poussent à diviser, à désigner des adversaires, à développer des sanctions. Nous constatons que nous sommes entrés dans un monde multi polaire ; nous ne nous situons pas dans un camp mais cela ne nous empêche pas de nous exprimer et travailler avec toutes les bonnes volontés en bilatéral, en multilatéral, à l’UNESCO ou ailleurs. Par exemple nous sommes choqués par le permis d’ignorer les résolutions de l’ONU, le permis de tuer, de massacrer des dizaines de milliers de civils, de poursuivre la colonisation, accordés par les puissances occidentales au gouvernement d’Israël.

Les axes prioritaires – l’activité
Chaque année nous répétons la liste des menaces qui pèsent sur l’humanité qui sont autant de défis que celle-ci affronte plus ou moins et qui soulignent l’importance accrue de la relation Science et Société à notre époque et nous interpellent donc.

Dans mon exposé introductif l’an passé, je relevais les défis majeurs suivants : le développement du recours à la guerre, le défi environnemental, c’est-à-dire notamment le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources et la chute de la biodiversité, les risques sanitaires, l’approfondissement des inégalités, le développement du repli identitaire, de la xénophobie, de l’intolérance et de l’irrationnel, la question des réfugiés, des migrations et puis tout l’ensemble que l’on appelle la révolution numérique.

Sur presque tous les points la situation devient dramatique sinon ingérable. Il ne s’agit plus alors de menaces mais de situation dramatique ; et d’autant plus dramatiques que certaines situations sont causes et/ou conséquences d’autres.

Les idéologies, les croyances, les comportements politiques des peuples et de leurs dirigeants tout comme les savoirs, les sciences et les techniques sont particulièrement exemplaires de cette dialectique. L’ambivalence intrinsèque et l’ambiguïté entretenue font des ravages particulièrement dans les cerveaux des populations pour qui le souci principal est dans le manger du soir ou dans la fin du mois mais aussi dans ceux qui ont peur, peur de voir leurs enfants moins bien lotis, peur du déclassement.

Comment faire pour que la préoccupation environnemental perçu comme plus « distante » soit compatible avec la question sociale, comment rendre intelligibles les questions de macro-économie, de géopolitique. Il est hors de portée, hors de question que nous ayons des groupes de travail sur chacun de ces sujets, mais il est utile d’exercer au moins une veille.

En cette année 2023-2024 nous avons gardé le schéma entamé à Moscou en 2013 et enrichi à Dakar en 2017 puis à Marrakech en 2022. Ce fut le fonctionnement en groupes de travail sur les thèmes qui symbolisent véritablement notre ADN : 1) la paix, le désarmement et la coopération internationale-2) le climat, l’énergie et le développement durable-3) les conditions de la recherche et les conditions des chercheurs, notamment des femmes, des jeunes et des précaires. Cet après-midi consacré au travail en commission verra donc se réunir ces 3 groupes de travail. Mais n’oublions pas d’autres groupes ajoutés : l’appel à la création d’un fonds spécifique pour la recherche en Afrique, les femmes et la science, les jeunes chercheurs, les règles de fonctionnement interne, la politique de communication, la FMTS et les réseaux sociaux et l’ambition constante de l’élargissement, du développement quantitatif et qualitatif de notre Fédération. Sans attendre les sessions du CE proprement dit nous pourrions ajouter une commission cet après-midi consacrée à l’outil FMTS.

Je rappelle quelques idées-forces présentées

L’armement : les budgets s’envolent, les armes sont de plus en plus sophistiquées, leur technicité et leur efficacité accrues ; en 2003 ce sont plusieurs centaines de milliers d’Irakiens victimes de l’intervention américaine, en 2022-23, l’intervention russe est en passe d’atteindre les mêmes chiffres avec en outre la menace d’engager l’arme ou les armes nucléaires.

Le recours à la guerre est redevenu une option. L’alliance militaire OTAN est ressuscitée. L’ONU est bafouée ainsi que le droit international (respect des frontières et des droits humains).On ne peut se contenter de larmoyer ! Il faut étudier les causes. Je risque une piste :

Dans toutes ces guerres, il y a des deuils, des souffrances, mais il y a aussi des retombées ‘’positives’’ pour certains, notamment pour les complexes militaro-industriels, en l’occurrence dans le cas de la guerre en Ukraine, ceux des USA, de l’Europe occidentale et de la Russie.

L’humanité constate que les catastrophes passent du futur au présent. Beaucoup de dirigeants se contentent de mesurettes et même certains, motivés surtout par une réussite électorale rejoignent le climato scepticisme. Depuis deux ans nous avons ciblé la question des océans et avons mis sur pied un groupe d’experts internationaux qui animent un groupe de travail avec des scientifiques que j’appelle « généralistes », c’est à dire comme nous-mêmes, des collègues inscrits dans notre groupe de travail n°2. Cette démarche est adaptée à notre ambition de faire le lien science-société, d’être des influenceurs.

On assiste à des poussées de « dégradation politique et morale ». Entendons par là, les développements du  repli sur soi, de l’égoïsme,  de  l’intolérance et.de l’irrationnel  Ceci nous oblige à un combat d’idée consistant à faire face à 2 tentations diamétralement opposées mais également nocives : d’une part, la tentation de l’antiscience, le succès des fake news et de l’‘irrationnel » et d’autre part , l’excès inverse, le scientisme, la croyance naïve aux solutions techniques, « on trouvera bien, à temps, les moyens d’absorber les gaz à effet de serre, les matériaux et sources d’énergie indispensables ».

Je soulève ici l’immense question de l’éducation à la science et de l’ Education tout court, au sens des savoirs être et pas seulement au sens des savoirs et des savoirs faire. Nous devons toujours rappeler l’ambivalence de la science. Qui est produit par des hommes et donc comme eux, navigant entre le bienfait et le méfait.

Ce point est une des entrées possibles à la notion, à l’exigence de promotion de la Science ouverte, de même que les bouleversements liés à la mondialisation numérique. Nous avons été parmi les principaux contributeurs à la rédaction de la Recommandation adoptée par l’UNESCO la concernant. Nous continuons bien sûr notre partenariat sur ce concept ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Le défi environnemental ne peut être relevé si les mesures prises sont et/ou apparaissent ciblées sur les petits, les plus faibles dans chaque pays et sur l’ensemble de la planète.

Cette ‘’écologie punitive’’ est inacceptable ! Elle est vécue comme une injustice quand les écarts de revenu croissent, quand la majorité des politiques actuelles consistent à créer des marchés nouveaux permettant d’obtenir des profits très élevés avec des taux à 2 chiffres.

Aujourd’hui, plus que jamais, les rapports entre nations, entre collectivités sont basés sur la logique d’affrontement pour gagner des parts de marchés à l’opposé de ce que les défis auxquels nous faisons face exigent pout être surmontés : la nécessité de développer les coopérations assises sur les biens communs.

Nous devons relancer l’appel à la création d’un fonds spécifique pour la recherche en Afrique. La curiosité nous dit-on fut la plus grande qualité d’ » homo sapiens » ; en tous cas, cette créature a réussi au cours des derniers siècles notamment à faire de la découverte de son environnement, de l’à-côté immédiat jusqu’ aux confins de l’univers, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand une véritable épopée rassemblant des femmes et des hommes de toutes cultures et civilisations. Mais avec des inégalités énormes ! tant dans la phase de création que dans la répartition des retombées.

J’interrompt ici mes exemples de thèmes d’activités et de débats qui me semblaient utiles par leur exemplarité justement ! Nous avons toute l’après-midi pour « creuser » et « dégager » des priorités, des projets.

Et puis il est temps d’aborder les derniers chapitres ; qu’en est-il de la FMTS, de l’ « outil »  FMTS ? Répondre à ces questions pour répondre surtout à : à quoi servons nous ? quelles sont les attentes des organisations affiliées et réciproquement les nôtres ?

Avant de passer la parole à Elies qui va donc se tourner davantage vers le futur, je voudrais décrire rapidement 2 secteurs qui reposent sur 2 groupes que l’on appelle secteurs car non thématiques et exigeant l’attention permanente : l’activité UNESCO et la communication. Ces secteurs se réunissent régulièrement et marquent des points dans nos Jeux Olympiques à nous. Avec l’UNESCO nous poursuivons les travaux accomplis lors de l’élaboration des recommandations sur la Science (autonomie et liberté des chercheurs, précarité) avec la division sciences humaines, et sur la Science ouverte avec la division Sciences dures. En outre deux projets se précisent sur l’Intelligence artificielle et sur l’analyse critique des publications du GIEC et de la relation Science – politique à partir des travaux de notre collègue Marc.

Sur la Science ouverte, le partenariat FMTS-UNESCO débouche sur une réalisation concrète. En effet le Forum prévu sur la situation dans le monde arabe est complètement mis sur pied ; il se déroulera les 28 et 29 novembre prochains à l’Université de Rabat. Il faut souligner la bonne entente avec les responsables de l’UNESCO tant au Maroc qu’à Paris.

La communication s’est organisée et développée considérablement grâce à l’investissement de plusieurs collègues. Listes de diffusion actualisées, stockage dans nuage, site web à jour : voilà des progrès réjouissants.

Je passe la parole à mon homologue Elies puis aux porte-paroles des services et des groupes de travail. Notre trésorier Pascal clôturera cette séquence des rapports de nos différentes structures : CE, SI, groupes de travail et secteurs, et bureau.

Je nous souhaite bon débat et bons travaux pendant ces 6 jours .

Rouen, le 7 août 2024

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Composition graphique : OTC, Portugal
Version portugaise : https://otc.pt/wp/2024/12/30/jean-paul-laine-sobre-a-federacao-mundial-dos-trabalhadores-cientificos/