Manifeste pour les droits et responsabilités des scientifiques
Ce Manifeste a été adopté par le Conseil Exécutif de la FMTS lors de sa réunion des 24 et 25 mai 1990
Il y a quarante ans, en 1948, et il y a vingt ans, en 1969, la FMTS et ses organisations affiliées ont connu deux événements importants avec l’adoption respective de la Charte pour les travailleurs scientifiques et de la Déclaration sur les droits des travailleurs scientifiques. Il est bien connu que, sous l’influence de cette Charte, la Confédération internationale des unions scientifiques a adopté sa Charte pour les scientifiques. Ce rôle de pionnier est à souligner.
Selon la Déclaration, « un travailleur scientifique est défini comme une personne disposant de la qualification nécessaire et qui exerce une activité professionnelle dans les sciences naturelles, technologiques ou humaines, dans la recherche fondamentale ou appliquée, ou dans l’enseignement de la science ».
Cette définition doit être comprise comme incluant toute personne qui contribue professionnellement au développement de n’importe quel domaine scientifique ou technologique, individuellement ou comme membre d’une équipe, d’un groupe, ou d’une unité de recherche-développement, ou qui est engagée dans l’enseignement de la science.
La Déclaration reflétait aussi l’intérêt fondamental que la FMTS attache au développement fructueux des sciences et des technologies, et combinait cet intérêt avec des conceptions généralement partagées sur les droits fondamentaux des travailleurs scientifiques découlant de leur responsabilité dans la société.
Le souhait exprimé en 1969 par l’Assemblée générale de la FMTS que la Déclaration devienne une Recommandation internationale ratifiée par les gouvernements a été quasiment satisfait par l’incorporation des éléments essentiels sur les droits des travailleurs scientifiques dans la Recommandation sur le statut des travailleurs scientifiques que la 18e Conférence générale de l’UNESCO a adoptée, à Paris, le 20 novembre 1974. Au travers de ce document adopté par l’UNESCO, la FMTS acquérait légitimité et place dans l’Histoire.
Dans son préambule, la Déclaration établissait que « […] les travailleurs scientifiques ont un rôle important à jouer pour promouvoir l’utilisation la plus efficace de la science et des méthodes scientifiques pour le bien-être humain, et pour contribuer au maintien de la paix et à la réduction des tensions internationales ».
Bien que la Charte et la Déclaration aient beaucoup apporté à la protection des droits des travailleurs scientifiques et aient contribué au progrès scientifique dans le monde, il faut constater que leurs objectifs ne sont pas complètement atteints. En particulier, les employeurs des travailleurs scientifiques ne cessent pas de négliger leurs droits ou d’empiéter sur eux. La FMTS et ses organisations affiliées doivent constamment se mobiliser pour atteindre les objectifs contenus dans la Charte et dans la Déclaration. En même temps, il faut souligner la responsabilité spécifique de chaque gouvernement quant à la protection des droits des travailleurs scientifiques et au maintien de bonnes conditions d’exercice de leur recherche en se dotant d’orientations concrètes pour que la science soit entièrement développée vers le bien-être de l’humanité.
Pendant les années 70 et 80, la vitesse de développement de la science et de la technologie ainsi que celle du développement industriel ont poursuivi leur accroissement. En conséquence, les possibilités d’améliorer le bien-être de l’humanité se sont élevées. Les potentialités d’avancées sociales, culturelles et politiques de l’humanité se sont considérablement accrues.
Mais, en même temps, les effets négatifs d’une mauvaise utilisation des sciences et des technologies sont devenus énormes. Des problèmes globaux sont devenus plus aigus, ceux concernant la préservation de la paix et de l’environnement s’étant particulièrement accentués, puisque la potentialité de destruction universelle n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui dans l’histoire humaine.
En fonction de cet arrière-plan, la société et, bien sûr, les travailleurs scientifiques, en tant que producteurs de savoir théorique et pratique dans des conditions nationales et sociales différentes, sont confrontés à la question de leur responsabilité. Ils ont une responsabilité comme scientifiques et comme citoyens. De nos jours, la responsabilité ne pourra pas se conformer longtemps aux limites étroites des champs spécifiques, mais demandera une extension de ces limites par la prise en compte de la science, de la politique et de l’économie dans leur dynamique concrète.
En d’autres termes, les travailleurs scientifiques doivent être aujourd’hui informés au-delà des limites de leur sujet particulier, afin d’être en mesure de comprendre la complexité des rapports qui existent au sein du monde contemporain. Ils doivent discuter et coopérer avec d’autres travailleurs scientifiques et d’autres organisations sociales contribuant à la résolution de problèmes persistants (préservation de la paix et autres problèmes globaux de développement culturel et social tels que l’approvisionnement alimentaire, la conservation de l’environnement).
Par ailleurs, les travailleurs scientifiques devraient être impliqués dans la solution des problèmes et pouvoir agir en conséquence. Cela entraîne de nouvelles exigences envers eux-mêmes, leurs connaissances et leur conscience. Ces exigences découlent de l’ensemble des problèmes mondiaux qui doivent être résolus dans différents pays et selon les conditions les plus diverses, avec leurs dimensions nouvelles et leur complexité croissante. Cela ne demande pas seulement une conception générale par rapport à la simple spécialisation, mais cela nécessite aussi la prise en compte des interconnexions, des changements, des développements et de leurs conséquences pour l’avenir.
La responsabilité des travailleurs scientifiques résulte de leur position sociale et de leur connaissance dans le contexte de la situation historique contemporaine. Elle se met en œuvre dans des conditions sociales différentes au travers de coopérations avec des travailleurs scientifiques d’autres pays au sein d’organisations diverses, notamment dans la FMTS. Les travailleurs scientifiques formulent leur responsabilité sociale et leurs principes éthiques dirigeant leurs actions pour la mise en valeur de leurs découvertes et de leurs inventions en faveur du genre humain. Cette responsabilité se fonde sur leurs efforts pour promouvoir des résultats utiles du travail scientifique et pour empêcher les conséquences accidentelles et inhumaines. Les résultats de leurs activités devraient être évalués, et des conclusions devraient en être tirées pour orienter leurs actions futures.
Les travailleurs scientifiques ne peuvent pas éluder leur obligation de promouvoir l’application de la science et de la technologie en réponse aux besoins culturels, sociaux, économiques et écologiques des peuples de l’humanité entière. La responsabilité sociale des travailleurs scientifiques, basée sur la raison et le réalisme, doit être fondée plus que jamais sur les droits et les devoirs, aujourd’hui et dans le futur. Ils sont associés avec l’aspiration à l’amélioration de la situation des scientifiques et de tous les travailleurs.
Puisque les travailleurs scientifiques acceptent leurs responsabilités envers la société, ils ont toutes les raisons de se mobiliser pour l’extension de leurs droits. La FMTS, en tant qu’organisation internationale représentant les intérêts des travailleurs scientifiques, soutient leurs revendications suivantes :
1.- Le droit et la responsabilité des travailleurs scientifiques d’être activement impliqués dans la détermination de l’utilisation de la science et de la technologie et dans la direction de sa mise en œuvre avec l’ensemble des citoyens. Cela inclut :
- l’analyse des conditions sociales nécessaires autour de chaque question et l’information de l’opinion publique sur leurs conséquences sociales ;
- de focaliser l’attention sur les solutions aux problèmes globaux de l’humanité tels que :
- les questions de guerre et de paix et les problèmes relatifs au désarmement militaire et à la coexistence pacifique, en particulier l’interdiction totale et la destruction des armes nucléaires et des autres moyens de destruction massive,
- la coopération internationale pour trouver des solutions pacifiques aux autres problèmes globaux tels que la sauvegarde des conditions pour le progrès social de tous les peuples, nations et Etats, la suppression des reculs technologiques et économiques, l’élimination de la famine et de l’analphabétisme, la planification de la science et de la technologie en réponse aux besoins humains, la préservation de l’environnement naturel nécessaire à l’existence humaine, la prévention des catastrophes résultant des développements technologiques, industriels et agricoles, etc. ;
- de développer les propositions scientifiquement appropriées pour résoudre les problèmes et de communiquer clairement les moyens de mise en couvre de ces propositions ;
- d’être activement impliqués aussi bien dans le processus de préparation et de réalisation de la décision que dans le contrôle et l’expertise de ses résultats.
2.- Le droit et la responsabilité de faire de la recherche et de l’enseignement dans le cadre de son activité professionnelle. Cela inclut :
- la capacité d’intervention et d’initiative dans la sélection consciencieuse des sujets et des méthodes de recherche ;
- l’accès aux informations relatives aux sujets de recherche ou requises par les travailleurs scientifiques pour assumer leur responsabilité envers l’avenir ;
- les efforts pour donner aux individus et à l’humanité entière plus de liberté à partir des résultats scientifiques et des développements technologiques, et grâce à cela un contrôle réel et actif sur l’environnement social et humain ;
- les besoins d’identifier, d’analyser et d’expertiser les risques découlant des recherches et de montrer la responsabilité de la prise de risques dans son propre travail.
3.- Le droit et la responsabilité de communiquer et d’échanger des informations sans aucune sorte de limitation. Cela inclut :
- de disposer avec attention et responsabilité de toutes les informations à leur disposition venant aussi bien des résultats de leurs propres recherches que de sources extérieures ;
- de promouvoir à la fois la coopération et la saine compétition entre travailleurs scientifiques ;
- de diffuser les connaissances et de propager les objectifs humanitaires ;
- d’utiliser les technologies avancées de la communication pour améliorer l’accès aux informations et pour stimuler le débat, aussi bien parmi la communauté scientifique que dans la société en général ;
- de contribuer avec leurs connaissances spécialisées à un dialogue constructif et coordonné avec les gens exerçant leurs responsabilités dans d’autres champs de la culture humaine tels que les arts, la communication et la politique. Cela aidera à une meilleure acceptation par la société des valeurs éthiques de l’activité scientifique aussi bien que des développements scientifiques et technologiques.
4.- Le droit et la responsabilité de produire, appliquer et diffuser les connaissances en résistant toutefois aux pressions à ne publier que dans le seul but de produire des publications.
Les travailleurs scientifiques ont des obligations envers l’héritage et l’avenir de l’humanité, tant individuellement qu’au travers de leurs communications et leurs coopérations mutuelles.
Ces droits et obligations référencés plus haut doivent être respectés lors de la mise à disposition de la recherche scientifique au service de la protection des intérêts de l’Etat ou d’une exploitation commerciale.
5.- Le droit et la responsabilité d’occuper leur place à partir de leur activité scientifique. Cela demande :
- la confiance dans le travail et la reconnaissance des succès dans l’activité scientifique et sociale, pour tous les travailleurs scientifiques, particulièrement pour les jeunes et les femmes ;
- l’équivalence reconnue entre la formation par l’activité scientifique ou celle relative aux autres domaines d’activité sociale pour que les responsabilités soient décernées sans discrimination au regard de leur seule qualification ;
- la possibilité pour les travailleurs scientifiques, hommes et femmes, de concilier leur carrière professionnelle avec leurs engagements familiaux, particulièrement en tant que parents ;
- la pleine intégration des jeunes scientifiques au processus de recherche en leur confiant des tâches concrètes et des responsabilités ;
- la sécurité matérielle et des perspectives pour les jeunes diplômés de l’enseignement ;
- des revenus matériels en relation avec leur formation, leur statut social et leurs résultats.
6.- Le droit et la responsabilité de transformer l’environnement social et naturel des hommes, considérés en tant qu’individus et en tant qu’être sociaux, à partir de leurs besoins et de faire du développement des hommes le critère décisif de la recherche scientifique et de ses applications. Cela implique :
- de maintenir une approche globale dans les spécialisations scientifiques et de tenir compte des phénomènes d’interaction existantes ou possibles ;
- d’appliquer ce précepte du manifeste de Russel Einstein selon lequel il est nécessaire « d’apprendre une nouvelle manière de penser » la situation mondiale, en reliant cela avec la proposition éthique que chaque travailleur scientifique devrait sentir et agir avec responsabilité (envers et contre tout).
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Les droits des travailleurs scientifiques en matière de libertés publiques, de non-discrimination, de protection contre le licenciement, de conditions d’emploi, de démission, de détermination du salaire, de vacances, de congés de formation, de congés de maternité, de congés de maladie, de retraite et de participation à une activité syndicale indépendante ne doivent pas être inférieurs à ceux admis pour les autres travailleurs.
1.- Cependant, les droits et les responsabilités des employeurs et de chaque travailleur scientifique doivent être clairement établis, soit par des mesures législatives, soit par un contrat de travail passé entre l’employeur et le travailleur scientifique. De tels contrats doivent résulter de négociations entre les employeurs et les organisations représentant les travailleurs scientifiques et ne doivent pas être moins avantageux que pour les autres types d’emploi.
2.- Les travailleurs scientifiques doivent pouvoir définir de manière démocratique les conditions de leur travail et les formes de collaboration au sein des laboratoires ou en relation avec les autres services coopérant. Le nombre total contractuel des heures de travail des travailleurs scientifiques ne doit pas dépasser celui déterminé pour les autres. Une souplesse des heures de travail doit être reconnue, mais pas imposée contre la volonté des travailleurs scientifiques ou de leurs organisations représentatives. Le respect d’un horaire de travail rigide doit être exigé seulement dans les cas nécessaires au progrès scientifique dans son ensemble.
Les conditions de travail doivent garantir la sécurité des personnels et des équipements, à partir des législations et des règlements existants, auxquels s’ajoute la description des mode opératoires spécifiques à l’introduction de nouvelles techniques.
3.- Les conditions de carrière des travailleurs scientifiques doivent être décidées par négociation entre l’employeur et les organisations qui les représentent. La progression de carrière selon ces conditions doit être accomplie par la prise en compte de facteurs tels que les connaissances, la qualification, l’expérience, la productivité et l’efficacité.
4.- Les scientifiques, aussi bien au plan individuel que collectif, ont le droit de participer activement à la préparation de la politique scientifique et à la détermination des structures organisationnelles de la science. Le droit d’expression concernant la politique de l’institution scientifique qui les emploie doit être contractuellement et légalement protégé. Le développement de la science doit être totalement fondé sur des principes démocratiques pouvant faire évoluer les structures hiérarchiques, les organisations et les institutions scientifiques.
5.- Les droits des scientifiques de disposer de leurs idées originales, découvertes et inventions et les revenus y afférents doivent être légalement et contractuellement protégés, avec une référence explicite à toutes les limitations nécessaires.
6.- Les travailleurs scientifiques ont droit à une évaluation objective de leur activité scientifique et/ ou technologique avant toute modification de leur statut professionnel ou de leurs conditions de travail.
7.- Tout jeune travailleur scientifique travaillant dans un laboratoire doit disposer d’un statut de salarié.
8.- Les droits des femmes relatifs à leurs besoins particuliers concernant la maternité et le développement de la petite enfance devraient être systématisés et rendus obligatoires.