Alger 2012-Exposé introductif du Président.
par Jean-Paul Lainé, le 15 septembre 2012
Monsieur le (représentant du) Ministre, monsieur le Directeur général, monsieur le Secrétaire général, mes chers collègues
1. Remerciements
Je voudrais tout d’abord dire un grand merci aux collègues algériens qui ont accepté d’organiser cette année notre conseil exécutif –notre gouvernement en quelque sorte- en Algérie et puis d’avoir mis en œuvre cette décision avec toutes les difficultés inhérentes à toute initiative de dimension internationale ? En particulier je dis un grand merci à notre collègue Smati Zoghbi, secrétaire général du Syndicat National des Chercheurs Permanents avec qui j’ai été en contact depuis plusieurs mois quasi constamment.
Je dois dire que nous sommes heureux de revenir sur ce continent pour une réunion statutaire, 10 ans après notre assemblée générale de Dakar. J’en profite pour remercier d’être venus et souhaiter la bienvenue à tous nos invités, ceux de ce pays, des pays avoisinants ainsi qu’aux collègues d’autres pays qui tiennent à travailler avec nous et adhérer peut-être à la Fédération.
2. La FMTS et l’Algérie
Les relations de la FMTS avec les travailleurs scientifiques algériens sont anciennes. Dès 1973 l’Union des ingénieurs algériens adhérait à notre Fédération (une organisation non syndicale comme il y en a d’autres parmi nos organisations affiliées)
L’année 1973, c’est aussi la réunion à Alger de la 4ème conférence au sommet des pays non-alignés. Le président Houari Boumedienne y lança l’idée que la condition pour que la science et la technologie puissent être mise au service du développement était l’instauration d’un nouvel ordre économique international. Le discours de Houari Boumedienne devant la session extraordinaire de l’Onu d’avril 1974 fit date dans les relations internationales de l’époque.
C’est aussi vers cette époque que des ingénieurs d’une entreprise française, Creusot-Loire dénoncèrent la vente à l’Algérie d’une usine de pâte à papier très moderne mais inadaptée aux conditions de votre pays à cette époque. Ces ingénieurs furent durement sanctionnés. Nous sommes souvent les témoins de cette tendance des industries de pointe à utiliser le cadre (et les financements) de la coopération pour vendre des produits qui leurs rapportent beaucoup, sans tenir compte des besoins réels. Le développement ne pouvait pas et ne peut toujours pas réaliser sur de telles bases. Pour la FMTS, les années 70 sont une première période d’évolution : depuis sa création en juillet 1946, elle était principalement un réseau de scientifiques de très haut niveau, appartenant aux deux blocs de la guerre froide, unis par une même volonté de s’opposer à la course aux armements nucléaires. Puis elle a commencé à devenir aussi un lieu de rencontre et d’échange entre organisations de travailleurs scientifiques — syndicats ou associations non syndicales rassemblant tous les travailleurs de la recherche : des chercheurs permanents mais aussi des enseignants-chercheurs, des ingénieurs et des techniciens.
En septembre 1978, à l’invitation de l’Union des ingénieurs algériens, se tenait au Palais des congrès (Club des Pins) le Symposium sur « La science la technologie et le développement ». Son but était la contribution de la FMTS à la Conférence des Nations Unies sur la Science et la Technologie pour le développement (UNCSTED) d’août 1979 à Vienne en Autriche.
Par la suite, en 1985 s’est créée une Union nationale des ingénieurs architectes et scientifiques d’Algérie (UNIASA) qui adhéra, elle aussi à la FMTS. J’ai rappelé l’appel du Président Houari Boumedienne à un Nouvel ordre économique international et la place qu’avait tenu ce mot d’ordre dans l’action de la FMTS. Loin de suivre cette voie, le G7 puis G8 a imposé au monde « l’Organisation mondiale du commerce l’OMC », fondée sur un dogme : la concurrence soit disant libre et non faussée. Ce même dogme irrigue les traités relatifs à l’Union Européenne.
Il nous faut dénoncer l’hypocrisie de cette liberté accordée à la circulation des marchandises et des capitaux, mais pas à la circulation des personnes. Ainsi les capitaux se concentrent là où cela rapporte le plus. Pour les êtres humains, c’est un cynisme encore plus clair : les pays les plus riches entendent pratiquer une immigration sélective, « choisie » par les employeurs. Et l’on est confronté à un véritable « drainage » des cerveaux. pour ne parler que de ce qui nous concerne de plus près.
3. Hommages
Je ne peux pas lancer nos travaux sans évoquer deux personnalités éminentes qui nous ont quitté depuis l’an passé. Je veux parler tout d’abord de François Blumental qui fût notre trésorier pendant près de 20 ans. Sa disparition brutale a été douloureusement ressentie par tous ceux qui l’ont connu et qui ont grandement apprécié ses qualités professionnelles et humaines. Produit d’une très grande école, la polytechnique de Zürich, rien ne le prédestinait si ce n’est ses valeurs et convictions sociales à devenir dirigeant syndical et notamment directeur financier de la plus grande confédération ouvrière française, la CGT. François ne laissait personne indifférent.
Nous conservons le souvenir d’un militant passionné, parfois déconcertant, clair dans ses convictions et son action, sachant être ferme, même avec ceux qu’il estimait, mais chaleureux dans ses contacts et apprécié de ses collaborateurs comme de ses camarades. Après François en Octobre ce fût en Avril le décès d’un de nos plus éminents présidents, Jean-Marie Legay. Professeur de Biologie à l’Université de Lyon, il succéda en 1980 au physicien Eric Buhop à la présidence de notre fédération. Lui aussi avait consacré de l’énergie et du temps au travail syndical : il avait été secrétaire général du syndicat –auquel j’appartiens- des professeurs d’université de France en 1966-1967 (Syndicat National de l’Enseignement Supérieur-SNESUP). Sous son impulsion la FMTS organisa des rencontres de chercheurs scientifiques de haut niveau appartenant aux deux blocs de la guerre froide et qui, en marge des thèmes officiels des symposiums, discutaient des conditions scientifiques et techniques du contrôle du respect d’accords tels que, par exemple, l’interdiction des essais nucléaires souterrains. Ces accords si modestes fussent-ils, allaient dans le sens du désarmement nucléaire.
André Jaeglé, mon prédécesseur, m’a rapporté des éléments de son discours d’adieu à la FMTS lors de l’assemblée générale de 1992, qui me semblent totalement pertinents et utiles à énoncer ici :
j’en profite d’ailleurs pour dire que c’est un empêchement familial grave qui fait qu’André, notre président émérite- n’est pas parmi nous aujourd’hui- « […] je n’aime pas beaucoup le terme de pays sous-développés et même de pays en voie de développement, car nous sommes tous en voie de développement : j’aime encore moins le terme de pays développés, comme si c’était fini… Je conteste l’hypothèse d’un seul développement, d’un seul modèle de développement, par rapport auquel nous n’aurions plus qu’à nous placer ; sans qu’il vienne à l’esprit que ce développement ne nous convient peut-être pas, ou bien encore qu’il n’y aurait qu’une seule voie pour atteindre un certain objectif, même si nous l’acceptions tous. Et si nous nous trompions de développement ? » Quelle clairvoyance ! Quel bon usage de l’esprit critique, issu de l’éducation et de la pratique scientifique, qui nous invite à ne pas prendre pour évident ce qui l’est parfois pour d’autres !!
Je propose que nous saluions leur mémoire par une minute de silence.
4. Le contexte général
Depuis notre précédent conseil exécutif point d’évènements aussi marquants que la catastrophe de Fukushima au Japon ou les révoltes dans les pays arabes qui survinrent quelques mois ou semaines avant notre rencontre 2011 mais – à mon avis- des mouvements plus lents, plus larges et plus profonds reflétant des idéologies, des consciences (je dirais des inconsciences) et des comportements en évolution, -et que j’espère réversibles – ceci concernant aussi bien les dirigeants, les élites en général que les populations.
Je privilégierai trois points des plus essentiels à mes yeux :
la sous-estimation du changement climatique provoqué par l’activité humaine ;
la persistance et le développement de l’acceptation du recours à la guerre comme résolution d’un problème politique,
le développement de l’intolérance, de l’irrationnel, de l’obscurantisme y compris dans les pays qui se considèrent comme les plus développés. Ce sont malheureusement trois points des plus négatifs et dangereux pour l’avenir de l’humanité, pour nos enfants et petits enfants. Nous reviendrons sur ces questions durant nos travaux : des projets de déclarations sont dans les dossiers notamment sur le défi énergétique et la course aux armements. Je veux donner quelques illustrations et insister sur les défis pour nos organisations, la FMTS et ses organisations affiliées.
Premier point : comment être optimiste quand à Rio en Juin, lors du 5ème sommet de la terre, les chefs d’Etat rassemblés n’ont pu signé qu’une déclaration faite de vœux pieux ; de recommandations aux Etats et à la prochaine assemblée générale mais exempte d’engagements contraignants ? Pis ! Sous couvert d’ « économie verte » et l’idée de donner une valeur marchande aux écosystèmes et processus naturels (captation du carbone, ressources génétiques etc…), c’est un immense nouveau marché qui est offert aux multinationales. Certains observateurs ont même parlé de « permis de saccager » à ce propos.
Second point : en différentes régions du monde on présente l’intervention militaire comme la solution, on développe même le concept du « devoir d’ingérence ». Nous ne savons que trop que la guerre ne règle rien. Les exemples récents ne manquent pas. Les propos du président israélien, agitant la menace de bombardement sur l’Iran sont graves. Et ils ne sont pas critiqués par les puissances occidentales ! Au contraire les parlementaires européens s’apprêtaient ces jours-ci a approuver un important accord commercial entre l’Union européenne et Israël sans garantie que cet accord ne concernera pas les produits des colonies, sans prendre en compte les violations du droit par Israël, celui-ci, s’il est approuvé, sera un permis délivré aux autorités israéliennes pour poursuivre leur politique de colonisation. Au sujet de l’Iran je rappelle la position de la FMTS. Le Traité de non-prolifération (NPT- son acronyme anglais) ne saurait interdire à quelque pays que ce soit de créer une industrie nucléaire civile. Le fait que le gouvernement iranien mette des obstacles au contrôle exercé par l’AIEA doit être condamné. Mais il ne justifie pas d’intervention soit disant préventive. J’ajoute que d’autres pays, dans cette région violent le NPT.
Troisième point : comment ne pas être inquiets devant la montée de l’extrême droite en Europe, des ultraconservateurs aux Etats-Unis, devant l’utilisation généralisée de la religion comme outil pour parvenir et se maintenir au pouvoir ? La réponse est éminemment économique et politique parce qu’ à la source de ces errements, parce qu’en toile de fond résident la « bulle » financière, le règne du « roi dollar », la recherche effrénée de taux de profits insensés qui s’accompagnent de crises financières puis économiques et sociales.
Des réponses, des résistances nombreuses et variées se développent qui atténuent mon pessimisme. Aux actions puissantes du mouvement syndical, il faut ajouter et souligner l’irruption de la jeunesse qui crée des formes originales de lutte, interpellant les médias, faisant résonner très loin la contestation de ces politiques qui lui barrent tout avenir en utilisant tout le potentiel des nouvelles technologies. On a tous en tête les mouvements d’Amérique du Nord, d’Europe et le « printemps » de la Tunisie et de l’Egypte mais aussi je suis sûr que la jeunesse est présente dans les mouvements sociaux du Brésil, de l’Afrique du Sud et de la Chine. D’autres types de réponses, d’autres pistes d’interventions plus ciblées, plus professionnelles sont possibles et nécessaires que doit emprunter une ONG comme la nôtre. Je vais dans le chapitre suivant essayer de les décrire.
5. Le rôle de la FMTS
Nos organisations affiliées et la FMTS elle –même, qui interviennent là ou le savoir, les sciences et les technologies sont impliqués ont un rôle important à jouer. Il n’ y rien de fatal, l’humanité a su relever des défis terribles dans la passé. Tout est possible, même une société humaine multiculturelle, multicolore et pacifique. Les trois points soulignés précédemment reposent sur des incompréhensions sinon même des ignorances, des visions partielles et partiales, des croyances refuges, sur des aveuglements voulus ou imposés par l’environnement médiatique notamment. Le savoir et l’Education, les sciences et les technologies sont concernées par ces attitudes. Sans prétendre à l’exhaustivité, je risque quelques explications.
Au premier chef l’Education ne remplit pas correctement son rôle, d’une part parce que des millions d’enfants de par le monde en sont exclus et d’autre part parce que la conception qui prévaut chez beaucoup de dirigeants économiques et politiques –et qui est mise en œuvre dans de nombreux pays depuis une génération – c’est celle d’une éducation limitée à une instruction technique chargée de former des individus au savoir-faire immédiatement utilisable. Je ne parle pas ici simplement de l’enseignement technique ou professionnel mais aussi de l’enseignement général et jusqu’aux plus hauts niveaux de l’enseignement supérieur. A l’heure où les emplois évoluent très vite, où les robots peuvent assurer les tâches répétitives, où la vie personnelle et professionnelle exige autonomie et créativité, c’est paradoxal à moins que l’on ne veuille véritablement pas d’hommes et de femmes pleinement citoyens. En ce qui concerne la Science et les scientifiques je dirais que deux attitudes, contradictoires et également négatives sont très fréquentes, c’est d’une part comme il y a un siècle la croyance en la science dépassant la politique et sauvant l’humanité et d’autre part l’attitude inverse, la science et la technologie perçues comme des pollutions d’un ordre naturel sain.
Des courants religieux –notamment aux Etats-Unis- vont même jusqu’à nier des savoirs universellement reconnus comme l’évolution , comme nombre de mécanismes biologiques. Le « scientisme » et l’ « anti-science » sont également erronés. C’est la science entendue comme des connaissances et une démarche critiques qui peut aider l’humanité à éloigner ses « démons » (superstition, intolérance, égoïsme, xénophobie) et relever les défis de ce XXIè siècle, climatiques, énergétiques et alimentaires. Son élaboration, sa diffusion et son partage –quel joli mot qui signifie la justice et l’égalité dans l’accès- du savoir, doivent être au cœur de tout projet politique.
Enfin je considère que le statut social des éducateurs et des chercheurs qui s’est dégradé sensiblement ne favorise pas la diffusion dans la société des savoirs, des attitudes scientifiques. J’entends par là que le salaire, la sécurité de l’emploi, l’image sociale sont des éléments de la véritable indépendance du scientifique, garantie de la qualité, de l’authenticité des résultats. Ce n’est pas une position nouvelle et extravagante ; l’idée figure dans la recommandation votée par l’assemblée générale de l’UNESCO en 1974, concernant la condition des chercheurs comme dans celle de 1997 relative aux personnels enseignants de l’enseignement supérieur. Je pointe là également l’idée que le travail scientifique et donc la Science est une production humaine avec ses acquis, ses succès et ses erreurs. En tant que telle, elle doit être évaluée, gérée, définie par la représentation nationale mais après avis de la société civile, des syndicats des personnels mais aussi des confédérations ouvrières.
Ces quelques réflexions sont une contribution aux débats de ces prochains jours, eux-mêmes permettant de définir et nourrir l’activité future de notre fédération. Elles s’ajoutent aux contributions qui figurent dans le dossier de participant.
6. La vie de la FMTS
Au plan organisationnel nul doute que les dispositions mise en œuvre depuis 3 ans vont s’amplifier : une lettre de la fédération plus régulière, un secrétariat plus international, des groupes de travail aux échanges plus continus. Nous mettons notamment beaucoup d’espoir dans ces groupes de travail. Je les liste pour rappeler nos axes privilégiés d’intervention :
– le groupe « désarmement » présidé par le collègue Shreesh Juyal du Canada et dont la session de mardi sera animée par Frederico Carvalho, du syndicat des chercheurs du Portugal, notre vice-président du CE qui, à ce titre, présidera les débats de cet après-midi ainsi que par Vyacheslav Vdovine, vice-président du Syndicat des travailleurs de l’Académie des Sciences de Russie
– le groupe « énergie-climat » qui sera animé par Hélène Carteron et Josette Rome-Chastanet qui sont les auteurs des documents « énergie » pour l’une et « climat » pour l’autre.
– le groupe « conditions de la recherche et des chercheurs » animé par Jean-Pierre Bazin du SNTRS-France et Cheikhou Sylla du Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal
– le groupe « UNESCO » animé par André Jaeglé
– le groupe « élargissement de la FMTS » animé par notre trésorier et moi-même.
On constate ainsi les premiers résultats du renforcement de notre secrétariat parisien : merci donc à Hélène et Josette de s’investir dans notre fédération. Un autre renfort devrait nous permettre de disposer d’un site web enrichi et mis à jour régulièrement.
La disparition de notre camarade François nous a obligé naturellement à modifier les responsabilités mais plus profondément à réfléchir sur notre mode fonctionnement et sur nos statuts. André avec Pascal Janots qui a pris en charge la trésorerie nous font une proposition de modification–qui figure dans le dossier du CE- et dont nous discuterons demain. Simplification, réalisme, facilitation du travail international en sont les principes directeurs.
Je termine en nous souhaitant de bons et fructueux travaux, dans le Conseil exécutif, dans le séminaire ouvert au public lundi matin ainsi que dans nos réunions de mardi, la rencontre FMTS-syndicats universitaires du Grand Maghreb et les sessions de nos groupes de travail.