Réflexions : Interface « hommes Machines » et management

Réflexions  : Interface « hommes-Machines » et management. . Jean Gay -9 juin 2009

Interface « Hommes-Machines », fiabilité et management

Le crash de l’Airbus A 330 pose la problématique des interfaces « Hommes–Machines ». Une nouvelle dimension doit être donnée à l’écoute des salariés par le management dans la mise en œuvre des systèmes techniques complexes (Avion -TGV- Industrie et nucléaire).

La complexité des systèmes et processus à haute technologie ne peut pas être mise en œuvre, avec les garanties suffisante de sécurité et de fiabilité, dans un contexte managérial où l’autoritarisme emprunte les voies de la militarisation dans les relations sociales comme feuille de route pour la hiérarchie. Cette question du rôle et de la place d’un nouveau type de relations sociales pour une meilleure garantie de la sécurité des systèmes techniques avancés, à la disposition des populations, est générique. Elle concerne aussi bien l’aéronautique et le spatial que l’industrie et le nucléaire.

Par rapport au crash de l’Airbus A 330, je voudrais apporter un double témoignage :

-  à la fois en tant qu’ingénieur ayant eu l’expérience des aléas de fonctionnement des « tubes de Pitot » dans les contrôle commandes des procédés industriels de mélanges de fluide en ligne dans des réacteurs de gaz de synthèse ou dans les mélanges de fluide en ligne,

-  et à la fois en tant que syndicaliste cadre CGT – (dans les organisations de l’UGICT –CGT ) dans le vécu des oppositions des syndicats de pilotes et des personnels techniques de l’aéronautique au moment du passage au « tout électronique-électricité » dans les « commandes –contrôles » des premiers A310–A330 au cours des années 1980,

ce qui avait occasionné de nombreuses grèves et des empêchements notamment sur la liaison Paris Marseille par avion Air Inter/ Air France.

Ce témoignage concerne les « interfaces » frontières « hommes–calculateurs–machines » pour tout ce qui relève des « commandes–contrôles » que ce soit dans l’aéronautique, les trains à très grandes vitesses, ou les systèmes de « process » industriels pour la production chimique ou énergétique (électronucléaire compris ). Les problèmes qui sont structurels et intrinsèques à la nature de ces « interfaces frontières » exigent du management que des rapports de collaboration et de coopération se substituent aux rapports d’autorité qui dégénèrent de plus en plus en autoritarisme et militarisation dans les façons de travailler comme justificatifs pour légitimer l’ autorité nécessaire de la hiérarchie.

Je distingue 3 points :

1ER POINT : la mise en œuvre du « tout automatique-électronique » et la place de l’homme.

Dans les années 1980, l’objectif des Directions de l’Avion civile et d’Air France (à l’époque Entreprise d’État ) était de supprimer le 3ième homme des avions longs courriers (qui était le navigateur) dans le cockpit par la mise en place des systèmes basés sur l’électronique, les calculateurs et les commandes électriques des matériels (en remplacement des commandes hydrauliques type « manche à balai ») pour la conduite des vols dans les avions modernes. Le personnel avait fait observer, à l’époque, les risques de la suppression du 3ième homme dans le pilotage, par l’irruption de l’électronique et des calculateurs de bord dans le pilotage des avions modernes – Ce 3ièmehomme permettait un certain recul par rapport à l’analyse des situations dans des circonstances dégradées et/ou complexes et faisait un travail de vérification permanente du couple « vitesse et positionnement » de l’avion. Or les analyses montrent la grande difficulté rencontrée dans un système automatisé de « contrôles-commandes » lorsque le calculateur « rend son tablier » et « ne sait plus faire » et que, dans l’instant, l’homme (dans le cockpit ou en salle de « contrôle–commande » d’un processus industriel) doit reprendre en main la conduite qui est (en général) en situation dégradée. Les catastrophes de Three Mile Island et de Tchernobyl se situent notamment dans ce contexte.

2ième POINT  : les aléas des tubes de Pitot en tant que capteur permettant le calcul de la vitesse. Quelles que soient les situations (aéronautiques ou industrielles), les tubes de Pitot sont des sondes, assez rudimentaires, pour mesurer la pression due à la vitesse du fluide dans un tuyau (processus industriels de mélange de fluides ) ou la vitesse d’une masse dans un fluide (bateaux / sous marins dans l’eau et avion dans l’air). Le principe en est basé sur le très léger différentiel des pressions en 2 points très précis de la sonde. Et c’est ce différentiel qui donne la vitesse. La configuration géométrique et la constitution matérielle de ces sondes ont toujours posés des problèmes dans les fluides industriels, et leur rôle a toujours été du domaine « indicatif » plutôt que « exécutif » pour démarrer des dispositifs impliqués dans le processus de production industrielle (par exemple : l’ouverture d’une vanne dans un processus de combustion) et dans sa sécurité de fonctionnement. Or sur un avion, la connaissance de la vitesse est un des paramètres centraux qui permet d’adapter la puissance des réacteurs ou des turbo propulseurs, pour que la stabilité de l’avion et son « assiette » soient assurées afin qu’il ne tombe pas.

Il est donc étonnant que cette sonde très importante ne fasse pas l’objet d’une surveillance beaucoup plus poussée en particulier sur les risques de bouchage dans les 2 prises de pression pour tout un tas de raison (accumulation de poussières, de sables d’altitude et d’humidité avec congélation de celle-ci ) En effet, c’est de cette sonde que dépend le travail des calculateurs de bord ainsi que les ordres que ceux-ci donnent aux moteurs.

3ième POINT : la mise en cause d’un management autoritaire et la reconnaissance nécessaire des savoirs faire des salariés dans la conception et la conduite des systèmes automatisés complexes.

La plupart des observateurs économiques, scientifiques et sociaux montrent les pressions énormes en terme de souffrance au travail auxquelles sont soumis les salariés en particulier dans les segments d’activités très complexes, demandant de très fortes connaissances et qualifications et mettant en jeu des technologies très avancées. Ces qualifications – et le droit à la parole dans le périmètre de ces qualifications – sont au centre pour garantir dans la durée le bon fonctionnement des installations, la sécurité et la stabilité des systèmes. Ces conditions de garantie sont nécessaires que ce soit dans les séquences de la « conception –fabrication » des matériels, ou dans les séquences de la conception des « commandes–contrôle » pour le pilotage de ceux-ci, ou dans les séquences des essais et des mises en services. Les réalités financières font du « temps » -nécessaire dans la conception et la fabrication – un paramètre essentiel que les contraintes liées à la rentabilité du projet (vis-à-vis des actionnaires et de la concurrence) entraînent à réduire.

Perte de l’autorité professionnelle par le management. Tels sont les objectifs du management supérieur qui se répercutent à tous les niveaux du management intermédiaire sur le collectif des salariés, depuis les techniciens et les ouvriers jusqu’aux ingénieurs et cadres.

Cette situation entraîne une dégradation de la situation au travail non seulement pour le collectif de salariés, dans le cœur des compétences de l’entreprise, mais également dans tous les niveaux du management. Ces niveaux de management, vis-à-vis de leurs « subordonnés-collaborateurs », ne sont plus en situation de pouvoir légitimer leur autorité hiérarchique par leur « savoir faire professionnel » dans la compréhension de la complexité du travail à laquelle sont confrontés les salariés et à partir d’un processus possible de parrainage d’apprentissage, ou d’une proximité dans le travail quotidien.

Les impératifs de rentabilité, liés à une vision d’actionnaire et de concurrence, entraînent partout une réduction du « temps » nécessaire pour concevoir et fabriquer les systèmes et les matériels. Cela entraîne une intensité du travail et du stress que subit le salarié, l’encadrement et tous les niveaux du management. Cet état de fait percute directement la conscience qu’ont les salariés dans la véritable reconnaissance de leur travail, de la part du management, pour garantir bon fonctionnement et sécurité des systèmes techniques. Le salarié est entraîné, par cette situation, dans une spirale de suspicion et de refus vis-à-vis de sa hiérarchie. Cela se répercute à tous les niveaux par rapport à la hiérarchie du niveau supérieur et cela met en cause les fondements de l’autorité du management à chaque niveau.

Pour reconquérir son autorité – exigée par sa propre hiérarchie et comme étant un paramètre de sa notation et son salaire – le management, à chaque niveau, ne trouve l’issue que dans l’obligation dans laquelle il se trouve, de prouver son autorité par les seules mesures autoritaires qu’il est en capacité de prendre. Cette situation entraîne une « militarisation » dans les rapports de travail par des injonctions ou des notes imposant aux salariés des résultats ou, parfois, des disciplines de comportement n’ayant rien à voir avec le travail (par exemple ranger son véhicule dans le parking de l’entreprise d’une certaine façon). Les risques de sanctions qui pèsent sur le salarié, deviennent le nouveau paramètre fondateur de la « vie au travail » (un peu comme les risques de perte de points conditionnent la conduite automobile) et la manifestation « d’autorité » de la part du management à chaque niveau.

Reconquête de l’autorité managériale par les procédés autoritaires. D’un rapport d’autorité qui devrait être reconnue à partir des compétences, de l’expérience et du savoir faire de la hiérarchie, la gestion des relations sociale est remplacée par une légitimité de l’autorité construite à partir des mesures coercitives qu’elle fait peser sur les salariés à chaque échelon en recherchant les paramètres de coercition à imposer.

Tous les témoignages et toutes les enquêtes montrent que la garantie pour les populations du bon fonctionnement des systèmes de plus en plus complexes et de plus en plus sophistiqués, (soit au sol dans les centrales nucléaires, les sites industriels à risques Seveso , transports ou en vol dans les avions) ne peut pas être assurée sur ces bases.

Un nouveau champ d’investigation sociale s’ouvre qui met la qualité des relations sociales dans le travail comme le facteur central d’efficacité dans la garantie et la sécurité des systèmes techniques et des installations industrielles vis-à-vis des populations.

Clnt : management- interfaces hommes machines-– crash Airbus A 330 – 10 juin 2009-Jg